C’est un fait, le brochet est l’espèce « repère » dans notre département. C’est en effet lui qui est le reflet de la bonne santé des écosystèmes aquatiques ligériens : quand le brochet va, tout va ! Sauf que ce n’est pas toujours le cas et l’emblématique carnassier risque peut-être de voir ses stocks diminuer. Explications…

 

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Brochets en pleine fraie

Dame Nature fait bien les choses : en tant que super-prédateur, le brochet se reproduit bien avant les autres poissons. C’est ce qui lui garantit sa place tout en haut de la chaîne alimentaire. Dès le mois de février, les brochets mâtures sont prêts à se reproduire.

 

La reproduction sur prairie inondée : une stratégie d’adaptation de super-prédateur pour être le premier !

Pourquoi le support de reproduction optimal du brochet est une prairie inondée par les crues?

À cette saison encore hivernale (nous sommes en février-mars), les eaux sont encore loin d’être tempérées et les températures dans le lit mineur dépassent rarement les 5 à 6 degrés Celsius. Trop froid pour assurer l’éclosion rapide des œufs de brochet. 

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Frayère à brochet aménagée et contrôlée sur prairie submersible.

En revanche, lorsqu’ avec les crues,  les eaux recouvrent les prairies voisines du lit de 20 à 30 cm, et que les niveaux se maintiennent, les premiers rayons de soleil de mars font vite monter la température autour des 10 à 12 degrès celsius ! Pas bête la bête…C’est là que les œufs seront déposés. Il leur faudra 120 degrés-jours pour éclore, ce qui correspond par exemple à 10 jours dans une eau à 12°C, ou 12 jours dans une eau à 10°C.

Monsieur et madame brochet sont très exigeants quant à leur façon de se reproduire : en guise de couche nuptiale, le couple (voire même le trio, car il n’est pas rare que 2 mâles courtisent et fécondent les œufs de la même femelle simultanément) s’ébat dans de vertes prairies entretenues et inondées durant la période de crues hivernale. La végétation sert de support pour les œufs fécondés, lesquels y adhèrent jusqu’à maturité et éclosion une quinzaine de jours après la ponte.

Bien sûr, lorsque ces conditions idéales ne sont pas réunies (pas de vastes prairies inondées), le brochet va s’adapter et pondre dans le lit mineur de son cours d’eau, mais la température plus froide va augmenter le temps d’éclosion et exposer les juvéniles aux autres prédateurs.

 

L’eau devenue l’ennemie public N°1 !

À l’heure où l’homme veut canaliser, évacuer et se débarrasser rapidement des eaux de crues pour protéger des zones qu’il a lui-même artificialisées, imperméabilisées et urbanisées, il devient très compliqué de maintenir les prairies inondées plus de 24 heures sur certains cours d’eau !

En quelques décennies, l’eau des cours d’eau est devenue synonyme de « problème à gérer »…L’appréhension de l’eau qui inonde, de l’eau qui détruit, de l’eau qui empêche la construction et de fait le développement économique, et qui réduit les préemptions agricoles ou empêche l’exploitation est désormais ancrée dans l’inconscient collectif : les crues sont vécues soit comme une négligence des autorités  qui ont failli à leur devoir de protection, soit comme une punition de dame Nature (qui selon le dicton, reprend toujours ses droits…). 

Bien sûr, une crue est un phénomène que l’on ne peut évidemment pas maîtriser. L’actualité nous en donne régulièrement et malheureusement  la preuve. ppri nantes

Pourtant, considérer un cours d’eau comme une entité géologique vivante et dynamique serait plus sage (l’approche de la loi sur la continuité écologique des cours d’eau est un premier pas vers cette reconnaissance).  S’en méfier et ne pas oublier les constructions des anciens à l’écart des lits majeurs le serait encore plus ! Nombres de PLU* devraient sans doute être révisés pour garantir la mise à l’écart du risque…Ce risque que l’on voudrait zéro, mais que nos décisions et nos intérêts favorisent.

*Plan Local d’Urbanisme : Document-cadre régi par le code de l’urbanisme, approuvé par le conseil municipal d’une commune, qui classe les surfaces communales (bois, surfaces agricoles et urbanisées…) et empêche ou autorise les aménagements et les constructions en fonction des risques évalués par le Plan de Prévention des Risques d’Inondation, PPRI).

 

 

L’apparition et/ou la consolidation d’espèces moins exigeantes 

C’est probablement l’une des conséquences directe des déséquilibres des populations : lorsque la concurrence inter-spécifique augmente (des espèces différentes utilisent la même niche écologique), c’est souvent l’espèce la moins exigeante qui prend le dessus. C’est peut-être la raison pour laquelle nous voyons apparaître et prospérer certains poissons là où notre brochet-repaire devient moins présent. 

 

Les zones humides sont devenues à certains endroits des  zones subventionnées pour mettre l’exploitation agricole au service de l’environnement (Les Mesures Agro-Environnementales)

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Fauchage sur prairie marais de l’Isac, Plessé (frayère contrôlée)

Depuis 2007, l’entretien et l’exploitation des zones de marais par fauchage et exportation du fourrage est subventionné par la PAC. Cela pourrait être une idée excellente et même très favorable à l’espèce brochet car l’entretien de ces espaces est essentiel pour garantir une végétation rase et vigoureuse, support de ponte optimal pour les brochets, et l’entretien des zones humides en général reste une priorité partagée par tous les acteurs locaux et environnementaux. Malheureusement, les facteurs de rendements viennent influencer négativement cette politique de gestion des milieux (les exploitants souhaitent exonder les marais au plus vite pour y pénétrer au plus tôt). Par ailleurs, les parcelles sur lesquelles apparaîtrait la jussie terrestre ne seraient plus éligibles à certaines subventions de la PAC.

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La jussie limite les rendements fourragers et empêcherait les agriculteurs de percevoir leurs subventions

 

 

La jussie est un problème majeur sur les zones humides (ZH) qui bordent les cours d’eau calmes et le contrôle de ses populations demeure essentiel pour assurer le rôle des ZH dans leurs fonctionnements et leurs biodiversités (la jussie ne pourrait en aucun cas servir de support de ponte pour le brochet car elle n’apparaît qu’au mois d’avril). Alors, des initiatives locales prônent des actions logiques d’arrachage mécanique et/ou manuelles, mais certaines vont jusqu’à empêcher l’eau d’alimenter la zone humide (ou l’art de jeter le bébé avec l’eau du bain!) jetant ainsi le discrédit sur les théoriciens des remontées capillaires ou le caractère amphibie de la Jussie ! 

 

 

 

Alors on fait quoi ?! 

La prise en compte des exigences du brochet dans la gestion des niveaux d’eau est donc essentielle pour garantir sa présence et plus généralement, assurer la bonne santé et l’équilibre des écosystèmes aquatiques.

  • Travailler en partenariat avec les gestionnaires de l’eau et les exploitants agricoles devrait être une priorité. Démontrer que la prairie inondable est un écosystème qui n’est pas utilisé uniquement par les oiseaux ou les amphibiens ou la récolte de fourrage, et qu’il n’est pas suffisant de caractériser ces espaces semi-aquatiques comme des zones humides à protéger, tout en négligeant leurs fonctionnement. 
  • Aménager des espaces dédiés au brochet :  cela ne date pourtant pas de la dernière pluie et les gestionnaires des ressources piscicoles le font depuis longtemps : réhabiliter ou créer des frayères spécifiques en reprofilant des pentes douces et régulières sur les lits majeurs des cours d’eau soumis aux crues, et parfois, pour garantir les niveaux d’eau, assurer la pose de portes hermétiques qui isolent la frayère des fluctuations du cours d’eau le temps de la reproduction.

 Voir vidéo ci-dessous : contrôle de productivité d’une frayère à brochet sur les marais de l’Isac, Mai 2016, Plessé (44).

 

  • Lutter contre les espèces végétales invasives amphibies qui envahissent les prairies : la jussie est un fléau majeur qui fait régresser les espèces végétales sur les zones humides, chuter les rendements agricoles et bien sûr nuit à l’équilibre des écosystèmes.brocheton-biométrie
  • Démontrer aux autorités compétentes que l’espèce brochet peut être en déclin sur certains secteurs, et qu’il est temps de mettre en place des mesures de protection en réadaptant les niveaux d’eau aux périodes propices (c’était le cas avant que les MAE n’entrent en vigueur) ou en créant des zones-sanctuaires à niveaux constants jusqu’à l’éclosion. 

En conclusion, il est nécessaire d’affiner les schémas de gestion de l’eau sur certains territoires qui sont naturellement favorables au développement de l’espèce brochet (les zones de marais doux et prairies submersibles). Travailler à une meilleure communication avec les services de l’état pour que le brochet soit mieux pris en compte en tant qu’ espèce-repère des milieux aquatiques.